samedi 23 juin 2018

L.A n°3 : « Salomé », Apollinaire, Alcools, 1913.


L.A n°3 : « Salomé », Apollinaire, Alcools, 1913.

Intro° :
 Guillaume Apollinaire est un poète français du début du XXe siècle. Il écrit en 1913 un recueil de poésie Alcools qui parle d'amour, de  guerre, de la ville et des  campagnes de l'Est. Ce collage de différents thèmes opposés est emprunté au cubisme. En effet, Apollinaire était très proche de Picasso et  des auteurs surréalistes. Son recueil est empreint d'un esprit nouveau. Sa  devise était : « j'émerveille ». C’est vrai que ses poèmes font naître chez le lecteur des images nouvelles, tantôt futuristes, tantôt ensorcelantes, tantôt fantasques. C’est à première vue de fantaisie qu’il s’agit dans le poème « Salomé ». Pourtant A. l’a écrit à la suite de sa rupture avec Annie Pleyden, une jeune gouvernante anglaise qui l’a éconduit. A travers le personnage de Salomé, le poète évoque à la fois la cruauté de la jeune fille et ses propres regrets. Mais ce n’est pas seulement un poème personnel. Il reprend aussi  les traits les plus caractéristiques de la légende biblique  de  Salomé.
Lecture
Il est alors intéressant de se demander ce qui fait l'originalité de la Salomé d'Apollinaire.
Car Apollinaire propose ici une réécriture tout à fait neuve du personnage. En effet, non seulement elle est amoureuse de Jean-Baptiste mais  elle semble avoir perdu la raison.

·         les traits les plus caractéristiques de la légende biblique : le lieu (« les bords du Jourdain »
v.10), les personnages « Salomé » (le titre), Hérodiade (« Ma mère » v.16), Hérode (« ô roi Hérode » v. 11), et bien sûr Jean –Baptiste (cité au premier v.).
·         Les principales étapes de l’histoire de J.B : chaque strophe en évoque une :
Strophes 1 et 2 : sa disparition
Strophe 3 : son arrestation v. 11-12
Strpohe 4 : la décollation de Saint
Strphe 5 : son enterrement.
·         Le motif de la danse également  omniprésent (v. 2,6 et 15).
·         En outre, le champ lexical de la religion (Séraphins, curé, bréviaire, rosaire) rappelle l’origine biblique de la légende.

Vocabulaire :
Séraphin : ange du plus haut grade hiérarchique dans la Bible
Rosaire : chapelet
Bréviaire : livre de prières
Marotte : sceptre, surmonté d’une tête grotesque coiffée d’un capuchon à grelots dont se servaient les fous du roi.

PBQ : Qu'est-ce qui fait l'originalité de la Salomé d'Apollinaire ?

I Tout d’abord, elle est  amoureuse du Saint

A.      En effet elle exprime sa passion pour le saint dans les trois premières strophes

 Ex 1 : Répétition verbe « battre » v.5. →simule le battement du cœur de Salomé, symboliquement siège de l’amour. Elle s’est  prise de passion pour la parole du prophète 

Ex 2 : Connotation  v.7 « Et je brodai des lys sur une banderole/Destinée à flotter au bout de son bâton » : cette broderie est  signe de son amour, pour qu'il porte ses couleurs, comme un chevalier en lice l’aurait fait pour sa dame dans un tournoi médiéval.  En outre le lys est une fleur qui apparaît dans le Cantique des Cantiques, livre biblique de l’amour. Il est aussi associé à Marie, la Vierge. C’est le symbole de l’amour et du mariage. Elle aurait voulu se marier avec J.B.

Ex 3 : Adjectif « triste » v.3 montre que  sa mère elle-même semble avoir été amoureuse de J.B  «
Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste »
→ Ne serait-ce pas alors le rejet du prophète qui aurait suscité la vengeance de la mère tout comme d'ailleurs peut-être la vengeance de la fille ?  Le prophète ne pouvant être à elle, elles l'ont tué.
→Impératif : v.15 « Prends cette tête au lieu de ta marotte » / « N'y touchez pas son front ma mère est déjà froid » → jalousie entre la mère et la fille : Salomé donne la tête de Jean-Baptiste au fou et non à sa mère : alors que dans la légende biblique elle donne la tête de Jean-Baptiste à sa mère. Elle refuse même à cette dernière le droit de toucher la tête décapitée.

B.      En outre, elle émet des regrets face à son acte
Ex 1 : Hypallage : « les lys se sont flétris dans mon jardin » v. 11 -12  Le désespoir de Salomé est rendu sensible par la projection de sa tristesse sur les lys : c’est elle qui dépérit depuis la mort de J.B. Cette tristesse est d’autant plus cruelle que le bâton du prophète « refleurit sur les bords du Jourdain » v. 10, montrant ainsi que celui qui croit a la vie éternelle alors que désormais, sa vie à elle est vide de sens.

Ex 2 : temps verbaux
·         subjonctif présent  v. 1 -2 →Salomé aimerait revenir en arrière.
·         conditionnel « je danserais »→ miracle impossible à obtenir
·         l'imparfait aux vers 5-6-7→évoque un âge d'or où Jean-Baptiste était envie et/ou Salomé dansait.
·         Indicatif présent : v. 9 « Et pour qui voulez-vous qu'à présent je la brode » → présent malheureux d'une Salomé endeuillée. Sa vie est désormais vaine. 

Ex 3 : Le premier quatrain présente une allitération en [S ]qui évoque la plainte de Salomé.
Ex 4 : Symbole du « fenouil » v. 6 : résurrection. Elle voudrait pouvoir ressusciter JB. Plante symbole de son regret.

Transition : Salomé a commis un acte insensé : elle a demandé et obtenu la mort de celui qu’elle aimait. Situation terrible qui semble la faire sombrer dans une sorte de folie

II D’autre part,  elle semble avoir perdu la raison

A.      Car très vite, elle passe des regrets à la gaité

Ex1 : Mètres : 
·         les trois premiers quatrains sont en alexandrins, réguliers →atmosphère grave.
·         Le quatrième est composé d'un décasyllabe et de trois alexandrins → rupture d'état d’âme
·         les 3 derniers v., courts (hexasyllabes) → ton léger

Ex 2 : Impératifs v. 13 et 17 : elle invite tout le monde à danser donc à cesser le deuil comme le souligne aussi le v. 14.
Ex 3 : « planterons des fleurs et danserons en rond ». La circularité et la gaité de cette danse est martelée par l’allitération en [ron] dans «  creuserons, enterrerons, planterons, danserons en rond ».
Ex 4 : adjectif mélioratif « joli fou du roi » : elle semble séduite par le fou. Retrouve des désirs amoureux.
Ex 5 : Versification : la rime qui l'emporte sur le sens  v. 21 à 23 →comptine sur laquelle on peut danser. Les mots s’enchaînent plus par leur son que leur sens. Et le mot « tabatière » fait penser à la comptine du « Bon roi Dagobert ».

B.      De plus, elle semble perdre la notion de réalité et s’enfermer dans son propre monde

1.       Elle perd la tête
Ex1  : Impératif : v. 15 ordonne au fou de remplacer sa marotte par la tête de JB. Morbide. Sombre dans une sorte de folie. Cf Wilde : Salomé embrasse la tête morte. N’a plus le sens de la réalité.
Ex 2 : Rimes : Le rapprochement entre « jarretière/ tabatière » et « rosaire /bréviaire » souligne l'insouciance voire l'inconscience de Salomé.

2.       Impression qu’elle imagine son propre mariage avec le Saint alors qu’il est mort. Elle va rester à errer sur sa tombe.

Ex3 : Gradation v. 18-19 depuis l’enterrement au fleurissement de la tombe mais  chose étrange, se termine par une danse autour de la tombe v. 19 → transforme la procession d'enterrement en une joyeuse danse. 

Ex 4 : Connotation de « jarretière » v.20 →renvoie au moment grivois d'une fête de mariage où l'épousée, selon la tradition, dévoile progressivement sa cuisse aux invités.  → elle se projette vers le jour où elle perdra « sa jarretière » v. 20, où elle se mariera… mais le saint est mort…

CCL° :
Apollinaire propose ici une réécriture tout à fait originale du personnage de Salomé. En effet, non seulement elle est amoureuse de Jean-Baptiste mais  elle semble avoir perdu la raison.
Apollinaire, qui aimait beaucoup la littérature germanique,  s’est sans doute inspiré pour écrite son texte de l’auteur allemand Heinrich Heine qui  publie en 1841 un poème intitulé  Rêve d’une nuit d’été. . Dans ce long texte, Salomé et sa mère Hérodiade ne forment qu’une seule entité, une sorte de fée païenne mais surtout il la transforme en amoureuse passionnée de J.B  qui sombre dans la folie, comme la Salomé d’Apollinaire : « Car elle aimait jadis le prophète. La Bible ne le dit pas, – mais le peuple a gardé la mémoire des sanglantes amours d’Hérodiade.
Autrement, le désir de cette dame serait inexplicable. Une femme demande-t-elle la tête d’un homme qu’elle n’aime pas ? » Un amour qui n’est cependant pas réciproque, qui coûte donc la vie à Jean-Baptiste et qui conduit Hérodiade à sombrer dans une folie éternelle :
« Elle était peut-être un peu fâchée contre son saint amant ; et elle le fit décapiter ; mais lorsqu’elle vit sur ce plat cette tête si chère,
Elle se mit à pleurer, à se désespérer, et elle mourut dans cet accès de folie amoureuse. (Folie amoureuse ! Quel pléonasme ! L’amour n’est-il pas une folie ?)
La nuit, elle sort de sa tombe, et, en suivant la chasse infernale, elle porte, comme dit la tradition populaire, dans ses mains blanches le plat avec la tête sanglantes ;
Mais de temps en temps, par un étrange caprice de femme, elle lance la tête dans les airs en riant comme un enfant, et la rattrape adroitement comme si elle jouait à la balle. »




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire