L.A n°3 :
« Salomé », Apollinaire, Alcools,
1913.
Intro° :
Guillaume Apollinaire est un poète français du début du XXe
siècle. Il écrit en 1913 un recueil de poésie Alcools qui parle d'amour,
de guerre, de la ville et des campagnes de l'Est. Ce collage de différents
thèmes opposés est emprunté au cubisme. En effet, Apollinaire était très proche
de Picasso et des auteurs surréalistes.
Son recueil est empreint d'un esprit nouveau. Sa devise était : « j'émerveille ». C’est vrai
que ses poèmes font naître chez le lecteur des images nouvelles, tantôt
futuristes, tantôt ensorcelantes, tantôt fantasques. C’est à première vue de
fantaisie qu’il s’agit dans le poème « Salomé ». Pourtant A. l’a
écrit à la suite de sa rupture avec Annie
Pleyden, une jeune gouvernante anglaise qui l’a éconduit. A travers le
personnage de Salomé, le poète évoque à la fois la cruauté de la jeune fille et
ses propres regrets. Mais ce n’est pas seulement un poème personnel. Il reprend
aussi les traits les plus
caractéristiques de la légende biblique
de Salomé.
Lecture
Il est alors intéressant de se demander ce qui fait
l'originalité de la Salomé d'Apollinaire.
Car Apollinaire propose ici une réécriture tout à fait neuve
du personnage. En effet, non seulement elle est amoureuse de Jean-Baptiste
mais elle semble avoir perdu la raison.
·
les
traits les plus caractéristiques de la légende biblique : le lieu
(« les bords du Jourdain »
v.10), les personnages « Salomé » (le titre),
Hérodiade (« Ma mère » v.16), Hérode (« ô roi Hérode » v.
11), et bien sûr Jean –Baptiste (cité au premier v.).
·
Les principales
étapes de l’histoire de J.B : chaque strophe en évoque une :
Strophes 1 et 2 : sa disparition
Strophe 3 : son arrestation v. 11-12
Strpohe 4 : la décollation de Saint
Strphe 5 : son enterrement.
·
Le motif de
la danse également omniprésent (v. 2,6
et 15).
·
En outre,
le champ lexical de la religion (Séraphins, curé, bréviaire, rosaire)
rappelle l’origine biblique de la légende.
|
Vocabulaire :
Séraphin : ange du plus haut grade hiérarchique dans la
Bible
Rosaire : chapelet
Bréviaire : livre de prières
Marotte : sceptre, surmonté d’une tête grotesque coiffée d’un
capuchon à grelots dont se servaient les fous du roi.
PBQ : Qu'est-ce qui fait
l'originalité de la Salomé d'Apollinaire ?
I Tout d’abord,
elle est amoureuse du Saint
A. En effet elle exprime sa passion pour le saint dans les trois
premières strophes
Ex 1 : Répétition verbe « battre »
v.5. →simule le battement du cœur de Salomé, symboliquement siège de l’amour.
Elle s’est prise de passion pour la
parole du prophète
Ex 2 :
Connotation v.7 « Et je brodai
des lys sur une banderole/Destinée à flotter au bout de son bâton » : cette
broderie est signe de son amour, pour
qu'il porte ses couleurs, comme un chevalier en lice l’aurait fait pour sa dame
dans un tournoi médiéval. En outre le
lys est une fleur qui apparaît dans le Cantique des Cantiques, livre biblique
de l’amour. Il est aussi associé à Marie, la Vierge. C’est le symbole de
l’amour et du mariage. Elle aurait voulu se marier avec J.B.
Ex 3 : Adjectif
« triste » v.3 montre que
sa mère elle-même semble avoir été amoureuse de J.B «
Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste »
→ Ne serait-ce pas alors le rejet du prophète qui aurait
suscité la vengeance de la mère tout comme d'ailleurs peut-être la vengeance de
la fille ? Le prophète ne pouvant
être à elle, elles l'ont tué.
→Impératif : v.15 « Prends cette tête au lieu de ta
marotte » / « N'y touchez pas son front ma mère est déjà froid » → jalousie
entre la mère et la fille : Salomé donne la tête de Jean-Baptiste au fou
et non à sa mère : alors que dans la légende biblique elle donne la tête
de Jean-Baptiste à sa mère. Elle refuse même à cette dernière le droit de
toucher la tête décapitée.
B. En outre, elle émet des regrets face à son acte
Ex 1 : Hypallage :
« les lys se sont flétris dans mon jardin » v. 11 -12 Le désespoir de
Salomé est rendu sensible par la projection de sa tristesse sur les lys : c’est
elle qui dépérit depuis la mort de J.B. Cette tristesse est d’autant plus
cruelle que le bâton du prophète « refleurit sur les bords du
Jourdain » v. 10, montrant ainsi que celui qui croit a la vie éternelle
alors que désormais, sa vie à elle est vide de sens.
Ex 2 : temps
verbaux
·
subjonctif présent v. 1 -2
→Salomé aimerait revenir en arrière.
·
conditionnel « je danserais »→ miracle impossible à obtenir
·
l'imparfait aux vers 5-6-7→évoque un âge d'or où Jean-Baptiste
était envie et/ou Salomé dansait.
·
Indicatif présent : v. 9 « Et pour qui voulez-vous qu'à
présent je la brode » → présent malheureux d'une Salomé endeuillée. Sa vie est désormais vaine.
Ex 3 : Le premier quatrain présente une allitération en [S ]qui évoque la
plainte de Salomé.
Ex 4 : Symbole
du « fenouil » v. 6 : résurrection. Elle voudrait pouvoir
ressusciter JB. Plante symbole de son regret.
Transition : Salomé a commis un acte insensé : elle a demandé et obtenu
la mort de celui qu’elle aimait. Situation terrible qui semble la faire sombrer
dans une sorte de folie
II D’autre
part, elle semble avoir perdu la raison
A. Car très vite, elle passe des regrets à la gaité
Ex1 : Mètres :
·
les trois premiers quatrains sont en alexandrins, réguliers →atmosphère
grave.
·
Le quatrième est composé d'un décasyllabe et de trois alexandrins
→ rupture d'état d’âme
·
les 3 derniers v., courts (hexasyllabes) → ton léger
Ex 2 :
Impératifs v. 13 et 17 : elle invite tout le monde à danser donc à
cesser le deuil comme le souligne aussi le v. 14.
Ex 3 : « planterons des fleurs et danserons en
rond ». La circularité et la gaité de cette danse est martelée par l’allitération en [ron] dans «
creuserons, enterrerons, planterons, danserons en rond ».
Ex 4 : adjectif mélioratif
« joli fou du roi » : elle semble séduite par le fou. Retrouve
des désirs amoureux.
Ex 5 : Versification :
la rime qui l'emporte sur le sens v. 21
à 23 →comptine sur laquelle on peut danser. Les mots s’enchaînent plus par leur
son que leur sens. Et le mot « tabatière » fait penser à la comptine
du « Bon roi Dagobert ».
B. De plus, elle semble perdre la notion de réalité et s’enfermer
dans son propre monde
1.
Elle perd la tête
Ex1 : Impératif :
v. 15 ordonne au fou de remplacer sa marotte par la tête de JB. Morbide. Sombre
dans une sorte de folie. Cf Wilde : Salomé embrasse la tête morte. N’a
plus le sens de la réalité.
Ex 2 : Rimes :
Le rapprochement entre « jarretière/ tabatière » et « rosaire
/bréviaire » souligne l'insouciance voire l'inconscience de Salomé.
2.
Impression qu’elle imagine son
propre mariage avec le Saint alors qu’il est mort. Elle va rester à errer sur
sa tombe.
Ex3 : Gradation v.
18-19 depuis l’enterrement au fleurissement de la tombe mais chose étrange, se termine par une danse
autour de la tombe v. 19 → transforme la procession d'enterrement en une
joyeuse danse.
Ex 4 : Connotation
de « jarretière » v.20 →renvoie au moment grivois d'une fête de
mariage où l'épousée, selon la tradition, dévoile progressivement sa cuisse aux
invités. → elle se projette vers le jour
où elle perdra « sa jarretière » v. 20, où elle se mariera… mais le saint est
mort…
CCL° :
Apollinaire propose ici une réécriture tout à fait originale
du personnage de Salomé. En effet, non seulement elle est amoureuse de
Jean-Baptiste mais elle semble avoir
perdu la raison.
Apollinaire, qui aimait beaucoup la littérature
germanique, s’est sans doute inspiré
pour écrite son texte de l’auteur allemand Heinrich Heine qui publie en 1841 un poème intitulé Rêve d’une nuit d’été. .
Dans ce long texte, Salomé et sa mère Hérodiade ne forment qu’une seule entité,
une sorte de fée païenne mais surtout il la transforme en amoureuse passionnée
de J.B qui sombre dans la folie, comme
la Salomé d’Apollinaire : « Car elle aimait jadis le prophète. La Bible ne le
dit pas, – mais le peuple a gardé la mémoire des sanglantes amours d’Hérodiade.
Autrement, le désir de cette dame serait inexplicable.
Une femme demande-t-elle la tête d’un homme qu’elle n’aime pas ? » Un amour qui n’est cependant pas réciproque, qui
coûte donc la vie à Jean-Baptiste et qui conduit Hérodiade à sombrer dans une
folie éternelle :
« Elle était peut-être un peu fâchée contre son saint
amant ; et elle le fit décapiter ; mais lorsqu’elle vit sur ce plat cette tête
si chère,
Elle se mit à pleurer, à se désespérer, et elle mourut
dans cet accès de folie amoureuse. (Folie amoureuse ! Quel pléonasme ! L’amour
n’est-il pas une folie ?)
La nuit, elle sort de sa tombe, et, en suivant la
chasse infernale, elle porte, comme dit la tradition populaire, dans ses mains
blanches le plat avec la tête sanglantes ;
Mais de temps en temps, par un étrange caprice de
femme, elle lance la tête dans les airs en riant comme un enfant, et la
rattrape adroitement comme si elle jouait à la balle. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire