vendredi 15 juin 2018

L.A n°1 :L’incipit


L.A n°1 :L’incipit

PBQ: En quoi l’incipit du roman annonce-t-il l’œuvre entière ?
/ En quoi cet incipit séduit-il le lecteur ?

I Tout d’abord, cet incipit annonce l’action / l’action interpelle le lecteur

A-    En effet, on est d’emblée plongé dans l’ambiance de la misère/ déveine qui parcourt tout le roman

1.      Métaphore  l.14. : le « désert » = la plaine + pléonasme « où rien ne pousse » →insistance l’aridité du lieu, fondamentale dans le roman, et justification de leur  solitude l.6  « seuls » et 26 « solitude ».
2.      le parallélisme : « leur coin de plaine saturé de sel, jusqu’à eux trois saturés d’ennui.» l.13 souligne leur e dont la cause est justement l’aridité de la terre et leur solitude : les personnages qui n’ont rien à faire ou qui sont contraint à la routine. Cet ennui sera source de souffrance et justifiera le désir de sortir de cet ennui qui est associé à la plaine
- par
3.      suite du parallélisme «  et d’amertume » l12-13. L’amertume renvoie à l’idée d’une grande souffrance provoquée par une déception. L’incipit annonce donc le thème de la déception, important dans le roman : la déception de la mère face à l’infécondité de sa concession.
4.      Hyperbole « Ils en furent si dégoûtés, si dégoûtés, en se retrouvant sans cheval sur leur coin de plaine » l. 24 : hyperbole par la répétition et l’intensif « si ». Ce dégoût est à la fois un sentiment de dépression et une révolte »

Tous ces sentiments négatifs sont liés à la plaine (citations). Le lecteur peut donc en conclure qu’ils ne pourront y échapper qu’en échappant  à la plaine

B-    En outre, on retrouve le désir d’échapper à cette misère, désir qui fonde le destin des personnages / le lecteur est intéressé par …

1.      Se manifeste par le désir de contact avec le monde extérieur comme cela est souligné dans le premier paragraphe « ils se sentaient moins seuls, reliés par ce cheval au monde extérieur » l. 6-7  
2.      Se manifeste par le désir de trouver « une idée ». Revient comme un leitmotiv l. 2, 4, 5, 33, 36, 41-42. ( répétition) Avoir des idées est le seul moyen  pour s’en sortir, pour survivre. C’est ce que marque la répétition de la formule « une idée est toujours une bonne idée » l.33- 36-37. 
Une idée est
-          Une tentative d’enrayer la spirale de l’échec comme le suggère les 2 subordonnées de concession « même si tout est entrepris de travers »  l. 35 et « même si tout échoue lamentablement » l.38. Le roman s’ouvre sur le récit d’un échec : l’achat du cheval et sa mort l.2 à l. 23  Ce thème revient fréquemment : l’échec des barrages, l’échec de la vente du diamant
-          Un moyen de garder confiance en l’avenir : Synonyme d’espoir
« Encore »  l.5 « ils pouvaient encore avoir des idées ». Tant qu’on a des idées, on peut tenter de se sortir de cette plaine!
« Il arrive au moins qu’on finisse par devenir impatients » l. 39-40 : un changement va s’opérer à l’intérieur des individus qui vont sortir de leur situation d’attentisme. Une idée va permettre l’action qui va tout changer. Toute sa vie, la mère n’a cessé d’avoir des idées pour rendre féconde la terre de sa concession : barrages, culture de bananes, nouveaux barrages… Dans notre extrait même l’idée de  l’achat du cheval entraînera l’idée d’aller à   Ram  « ils décidèrent » l. 27 où « ils devaient faire la rencontre qui allait changer leur vie à tous ».  Cette prolepse annonce la suite du roman. Elle donne l’espoir au lecteur d’un changement, crée le suspense et l’incite à poursuivre sa lecture.
Suzanne et Joseph garderont tout au long du roman l’espoir de quitter
la plaine pour enfin vivre, espoir qui se réalisera.


II D’autre part, cet incipit annonce : le lecteur est séduit par  le style de l’œuvre, le style de M.  Duras

A-    En effet, c’est un style elliptique au sens large du terme : on sait peu de chose des pers. et du cadre spatio-temporel

a)     Le cadre spatio-temporel reste vague
1.      Répétition « la plaine ». 2 fois mentionnée, « leur coin de plaine saturé de sel » l. 12 et « leur coin de plaine, dans la solitude et la stérilité »  l.25.La présence de sel dans la terre explique l’infertilité de celle-ci.
2.      « Ram » l. 28- 30 est en fait le port cambodgien de Réam en Indochine française.  Mais, dans cet incipit, il n’y a rien  de précis dans la localisation : on ne sait dans quel pays se situe le roman et Ram n’est pas le nom d’une ville connue.
3.      Indications de temps : on ne sait rien du moment de l’histoire. Le récit comporte quelques indications de temps : « Cela dura huit jours » l. 18, « le soir-même » l. 27, « le lendemain » l. 28-30. Insistance sur le « lendemain » par la répétition qui souligne symboliquement l’importance du futur dans la vie des individus/ le roman.
Ce flou dans la localisation et la temporalité est caractéristique du style de l’auteur et marque tout le roman.

b)     La présentation des personnages
1.      deux personnages sont nommés : « Joseph » l. 14 et « la mère » l. 19.
2.      on ne sait de Joseph que peu de choses : il fume l. 3-4→ symbole de liberté, et la mère ne nous est présentée que par comparaison avec le cheval « bien plus vieux que la mère pour un cheval » l. 19. Cette comparaison cheval / mère se poursuit implicitement l.20 par la personnification « il essaya honnêtement de faire… ». On se rend compte que les qualités de l’un glisse sur l’autre et inversement. La mère reste honnête tout au long du roman, allant jusqu’à rembourser les banques après la vente du diamant. Elle mourra à la fin du roman comme le cheval au début.
3.      on sait néanmoins qu’il y a un troisième personnage puisque la première phrase du roman l’indique « tous les trois », expression reprise ensuite l.27.  Mais rien ne précise qui est ce troisième personnage → Suzanne ne semble pas importante. Dans la plupart des phrases, ils sont désignés ensemble par un pronom généralisant  soit par « ils » l. 5-24-26-27-30 soit par « eux » l. 11, « eux trois » l. 12 , « leur » l.31 et « tous » l.32.

Ils semblent former un groupe fusionnel

B-    De plus c’est une écriture particulière

a)     un registre courant voire familier :
1.      le lexique est d’une grande simplicité : répétitions des verbes « faire »l. 15-16-21-31-34 x2 et  « être » l. 1-4-9x2, 11-13-18- 21-24-30-33-35-40-42
Répétition  de  « quelque chose » l.8, 10, 15, 34,
2.      Voire registre familier : emploi de  « la mère »l. 19  , « il creva » l. 23 , répétition du pronom démonstratif « ça » l. 2-4-13 à la place de « cela »



b) un style proche de l’oralité :
1.      des subordonnées sans principales : « même si ça ne devait servir qu’à payer les cigarettes de Joseph » l. 2
2.      de très nombreuses répétitions :
le nom « idée »  voir + haut
les conjonctions « même si » : l. 2-8-35-38 et « comme quoi » l. 36-33- (anaphore)
Les adjectifs « saturé » l.12-13 et « dégoûtés » l.24

c) un narrateur très présent
- prolepse l. 30-31
- commentaires du premier et du dernier paragraphe : le narrateur émet des réflexions d’ordre général. Le pronom indéfini « on » l.15et 40-42 semble désigner tout autant les personnages que l’humanité en général. Le présent dans le dernier paragraphe est un  présent de vérité générale
incite à penser que l’on dépasse le cadre de l’histoire des personnages du roman.
Bien entendu, cette écriture se prolonge au fil des pages, donnant une atmosphère particulière au roman

Conclusion
 Bien qu’il soit peu conforme à ce que l’on attend d’un incipit, puisque le lecteur ne sait presque rien des personnages, des lieux et de l’intrigue, il met en place ce qui fait l’intérêt de cette œuvre.
En cela, il rejoint la fonction première d’un incipit : intéresser et intriguer le lecteur.
Nathalie Sarraute, dans Enfance, n’agit pas autrement : la mise en place du dialogue entre la narratrice et son double introduit à l’univers de cette autobiographie originale tout en attisant la curiosité du lecteur.

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