samedi 23 juin 2018

L.A 4 : Oscar Wilde, Salomé, 1891


L.A 4 : Oscar Wilde, Salomé, 1891

Introduction :

Ce texte est un extrait de Salomé, une tragédie d'Oscar Wilde publiée en 1891. Oscar Wilde est un écrivain irlandais, chef de file des esthètes, courant littéraire recherchant la beauté et le raffinement dans l’art. Mais, dandy excentrique, il n’hésite pas aussi à choquer la bonne société londonienne.
On retrouve ce mélange  de   beauté esthétique  et de provocation dans  sa pièce  Salomé, inspirée de l'histoire biblique. Car Oscar Wilde prend de grandes libertés avec le mythe originel. Pour lui, Salomé est amoureuse de J.B. Elle demande à voir le prisonnier qu’ Hérode a enfermé dans une citerne et dont on entend souvent la voix. Lorsqu’elle le voit, elle est séduite. Mais iI la rejette non seulement parce qu’elle est la fille d’Hérodias, mais aussi parce qu’il est tourné vers la seule gloire de Dieu dont il est le relai. Il n’éprouve aucun désir humain.  Salomé, elle,  est séduite par sa beauté. Elle veut l’embrasser et lui demande plusieurs fois la permission de le faire. Il refuse. Elle déclare alors de manière prémonitoire : « je baiserai ta bouche ». Pour réaliser son désir, Salomé se sert d’Hérode qui éprouve une attirance incestueuse pour sa nièce. Il lui a plusieurs fois demandé de danser pour lui. Elle va s’exécuter mais auparavant, elle obtient la promesse du tétrarque qu’elle obtiendra de lui en récompense tout ce qu’elle voudra. Elle demande alors la tête de JB. Dans notre extrait, elle l’a obtenue et peut réaliser son souhait en donnant à I un baiser nécrophile.


PBQ : Pourquoi peut-on dire ici que Salomé exprime la passion* amoureuse ?

*Passion : amour intense qui fait souffrir. Vient du latin « patior » = supporter, souffrir



         I.            Tout d'abord, Salomé et Jean-Baptiste un amour puissant
A.      En effet,  elle l’idolâtre
Ex 1 : Le verbe aimer est répété 5  fois au présent et au passé composé l. 14 et 23 (4 fois). Même si Jean-Baptiste est mort, elle continue de l'aimer comme le montre l'emploi du présent et l'adverbe « encore » l. 23. Les [… ] l. 23 semblent indiquer que cet amour ne finira pas. Il s'agit d'un amour éternel. l. 14 l'adjectif « seul » indique que Jean-Baptiste est son unique amour. Il s'agit donc d'un amour absolu. Puisque « tous les autres hommes [lui] inspirent du dégoût » l. 14. C'est un amour fo. D'ailleurs Salomé n'a-t-elle pas été folle de faire tuer Iokanaan pour pouvoir l'embrasser ?

Ex 2 : l. 15 à 18 :  3 métaphores mélioratives lui permettent d'insister sur sa beauté. « Ton corps était une colonne d’ivoire  sur un socle d'argent. C'était un jardin plein de colombes et de lis d'argent. C'était une tour d'argent ornée de boucliers d'ivoire. » L’utilisation des matériaux précieux tels que l’ivoire et l'argent renforce la beauté de I. Comme les colombes et les lis, ces matériaux symbolisent la  pureté. 
On a l'impression que Iokanaan est une statue grecque. Dans l'esprit de Salomé, il n'était pas un homme réel. Il a été fantasmé.

Ex 3 : Les 3 comparaisons qui suivent : «Il n'y avait rien au monde d’aussi blanc que ton corps. Il n'y avait rien au monde d'aussi noir que tes cheveux. Dans le monde tout entier il n'avait rien d'aussi rouge que ta bouche. » Ces 3 comparaisons se font à la faveur de I qui devient un être exceptionnel. La comparaison au monde est hyperbolique. Les couleurs contrastées de son physique (blanc, noir, rouge)  font sa beauté.

→On remarque un rythme ternaire dans cette description méliorative du physique de Iokanaan : 3 métaphores, 3 comparaisons. Ce rythme ternaire est synonyme de perfection. Pour S, I incarne la perfection physique.

Ex 4 : Salomé utilise une métaphore pour décrire la voix de Jean-Baptiste : « ta voix était un encensoir qui répandait d'étranges parfums, et quand je te regardais j'entendais une musique étrange ! » Cette métaphore est faite de synesthésies :
« Ta voix » « j'entendais, musique »: ouïe
« encensoir » / « parfums »  : l'odorat
« regardais » : la vue
Ces  synesthésies montrent que Salomé est comme envoûtée par Jean-Baptiste comme le montre l'adjectif « étrange ». Elle était sous le charme
B.       En outre, Salomé désire ardemment I
Ex 1 : elle répète 8 fois le verbe « baiser » et ce toujours en début de phrase ou  de propositions ce qui permet de mettre en évidence son désir charnel.

Ex 2 : la comparaison l. 2 « Je la mordrais avec mes dents comme on mord un fruit mûr » est érotique.  Comme le baiser, la morsure fait partie des pratiques sensuelles des amoureux. La référence au  « fruit mûr » renvoie à l'Ancien Testament et à la pomme du péché originel. Salomé renvoie donc indirectement à l'acte charnel.
Son désir s'exprime par le recours au champ lexical de l'alimentation.

Ex 3 : l. 24 le parallélisme « j'ai soif de ta beauté. J'ai fin de ton corps » montre que Jean-Baptiste est pour elle un besoin vital.

Ex 4 : Les négations l. 24- 25 « Et ni le vin, ni les fruits ne peuvent apaiser mon désir »/« ni les fleuves, ni les grandes eaux, ne pourraient éteindre ma passion » montre que son désir est immense et  inextinguible.

Ex 5 : La métaphore du feu qu'elle utilise l. 25 et 27 avec « éteindre » « tu as rempli mes veines de feu » est traditionnelle pour exprimer la passion en littérature.

Ex 6 : L. 26-  27 l'antithèse « j'étais une vierge, tu m'as déflorée. J'étais chaste, tu as rempli mes veines de feu » montre que pour Salomé, même si l'amour n'a pas été réciproque ni consommé, elle le considère comme une vraie relation qui aurait eu un aboutissement physique. Iokanaan  lui a fait perdre son innocence de jeune fille. Il a fait naître en elle les flammes du désir.


II Mais cet amour est funeste

A.      D’une part,  il est empreint de haine

1.       De la part de Jean-Baptiste tout d'abord qui ne partageait pas l'amour que Salomé éprouve pour lui.

Ex 1 : Salomé demande 4 fois à la tête de Jean-Baptiste « pourquoi ne me regardes-tu  pas ? » Ou « Pourquoi ne m'as-tu pas regardé ? » l. 4,5 – 6, 20,27. On comprend que Iokanaan ne lui a pas accordé un seul regard. Or le regard est le vecteur de l'amour. I ne lui a jamais accordé un regard puisqu’il ne l’aimait pas, au contraire.

Ex 2 : Salomé compare par la langue de Jean-Baptiste a un « serpent » ou « une vipère » l. 7-8 et 9. Elle insiste sur cette comparaison. Le serpent symbolise le mal , la méchanceté. Ne dit-on pas  d’une personne médisante qu’ elle a une langue de vipère ? Iokanaan critiquait Salomé. Il la considérait comme elle le dit plus bas comme « une courtisane, une prostituée » l. 10. Il disait sur elle « des choses infâmes », l. 20 des « blasphèmes ». Par ce vocabulaire péjoratif, on comprend que  Iokanaan n'a pas été séduit par Salomé. Sans doute  parce qu'elle était la « fille d'Hérodias ». Or le prophète condamnait Hérodias parce qu'elle avait épousé le frère de son ex-mari. Car dans la loi juive cela était interdit et considéré comme un inceste.  Pour Iokanaan, Hérodias avait souillé de son crime, de son immoralité, toute sa famille, toute sa descendance.

Ex 3 : Les hyperboles l. 4 -5 permettent à Wilde de montrer à quel point Iokanaan détestait Salomé

2.       De la part de Salomé qui suit La Rochefoucauld  selon lequel : «L'on veut faire tout le bonheur, ou, si cela ne se peut ainsi, tout le malheur de ce qu'on aime. » ( Maximes, » Du cœur »)

Ex 4 : les interjections « Ah ! » et « Eh bien » l. 1 et 3 et la répétition de « je te l'ai dit » l. 3 sont la preuve que la  vengeance de S. s'accomplit et qu’elle semble en éprouve une certaine satisfaction.

Ex 5 : l'antithèse l. 11 12 « moi je vis encore, mais toi tu es mort et ta tête m’appartient » est une phrase de triomphe. Salomé ressort victorieuse. Le désir de possession de Iokanaan est enfin réalisé. Mais elle semble oublier qu'il est mort. Oui elle a triomphé, mais au prix de la mort de celui qu'elle aimait.

Ex 6 : L. 42 le parallélisme entre « la saveur du sang » et « la saveur de l'amour » montre que pour Salomé, l'amour est lié à la mort.

B.       D'autre part parce que cet amour entraîne la mort

1.       Tout d'abord la mort de Jean-Baptiste.
Ex 1 : L. 12- 13 Salomé fait référence à la mort de Jean-Baptiste, à sa décollation. Elle le menace de le priver de sépulture ce qui, autrefois, était considéré comme gravissime puisque, sans sépulture, l’âme du mort ne pouvait accéder au repos et devenait errante.
2.       Mort de Salomé
Ex 2 : Hérode donne l'ordre l. 46 de tuer Salomé. L'impératif qu'il utilise et la didascalie « ils s'élancent et écrasent sous leurs boucliers Salomé » nous font assister en direct à la mort de la jeune femme.
Or, c’est à cause de son amour pour I que Salomé meurt. La décollation qu’elle a demandée pour pouvoir assouvir son désir la rend « monstrueuse »  comme le dit Hérode l.31

3.       L'ambiance est tragique. On pense à Phèdre qui se trouve monstrueuse face à Hippolyte qu'elle aime et qu'elle conduira, comme Salomé avec Jean-Baptiste, à la mort.

Ex 4 : la fatalité apparaît avec le présage d’un malheur comme le soul. Hérode lorsqu'il répète le mot « crime » l. 32. Qui dit « crime » dit punition/ justice. Ici, il craint la vengeance divine « d’un Dieu inconnu ».  D’où  sa certitude d'être voué au malheur  l. 35 « je suis sûre qu'il va arriver  malheur ». Pour essayer de se prémunir contre ce malheur informe, il ordonne la mort de Salomé. / il sacrifie Salomé, comme on sacrifie un animal afin d’apaiser les dieux.

Ex 5 : CL du noir  qui se répand sur la scène l. 35- 36 « éteignez les flambeaux » qu’Hérode répète 3 fois, « cachez  la lune ! Cachez les étoiles ! », « Un grand nuage noir », « tout à fait sombre », nous plonge dans une ambiance funeste. On a l’impression qu’Hérode ne veut pas qu’il y ait de témoin de la mort de Salomé. Comme si sa mort suffisait à effacer sa faute et à éloigner le malheur.

Ouverture de Concl° :
La mise à mort de S n’apparaît que chez Wilde. Pourtant, le mythe ne meurt pas avec elle. Au début du XXème siècle, G. Apollinaire nous donne une nouvelle vision de Salomé qui ressemble à celle que propose Wilde : amoureuse du Saint, elle regrette d’avoir demandé sa mort. Sans JB, sa vie est vaine et insensée. Elle en  perd la raison… elle ne va pas jusqu’au baiser nécrophile comme chez Wilde mais elle imagine un mariage macabre sur la tombe du Saint.


N.B :
  1. Iokanaan et pas Jean Baptiste. Pourquoi ?
·         Plus exotique
·         Fait disparaître sa fonction chrétienne de baptiste, celui qui baptise. Ne reste qu’un nom d’homme, ce qui le rend plus désirable.


  1.  Style reprenant des expressions de la Bible
·         nombreuses répétitions : rappelle le Cantique des cantiques, livre de l’Ancien Testament. Echange de passages amoureux entre un homme et une femme.
-          L.24 C d C « «que ta bouche m’enivre comme le bon vin », « à notre porte nous avons tous les fruits exquis », je te ferai goûter à mon vin parfumé » « « toute l’eau des céans ne suffirait pas à étendre le feu de l’amour »
-           L.29 C d C « l’amour est aussi fort que la mort
·         L.13 sort réservé dans la Bible aux infâmes
·         L.32 l’approbation d’Hérode est une parodie de la parole de Dieu «  Celui-ci est mon Fils, le Bien aimé, qui a toute ma faveur »
·         L. 37-39 les ténèbres = mal, châtiment, mort




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